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Entretien avec Mathilde Souchaud

Propos recueillis par Sarah Cillaire

« Regarder en face mes secrets enfouis »


Les Échos de la Forêt, de Mathilde Souchaud

Lecture dirigée par Cyril Hériard Dubreuil, le jeudi 25 août 2022

Avec Sébastien Eveno, Étienne Galharague, Zakariya Gouram, Adil Mekki, Céline Milliat-Baumgartner, Charlie Nelson, Julie Pilod et Alexiane Torrès.

Le texte est publié aux éditions Théâtrales.

Comment est née l’écriture des Échos de la forêt ? 

J’écris depuis l’adolescence, essentiellement des récits ou de la poésie. Je ne pensais pas du tout en faire une activité professionnelle, ni même faire lire quoique ce soit. C’était une activité très intime. Je suis devenue comédienne et metteuse en scène en développant une grande curiosité et un appétit pour l’écriture dramatique contemporaine. J’ai mis en scène des pièces contemporaines, rencontré des auteurs et forgé mon goût, mes propres critères artistiques. En 2019, j’ai adapté, mis en scène et joué, une version actuelle d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Cette expérience a été une forme de tremplin pour oser écrire ma propre pièce. Dans les premières versions, le personnage de Sophie dans Les échos de la forêt est une Alice qui aurait grandi. Et puis comme toujours, les projets changent en cours de travail et la pièce est devenue ce qu’elle est aujourd’hui.

La mise en scène et la direction d’acteurs entrent-elles en jeu durant l’étape d’écriture, autrement dit écrivez-vous directement pour la scène ?

Ce que je préfère dans le métier de metteuse-en-scène c’est constituer l’équipe de création puis diriger les acteurs. Même si aujourd’hui j’ai fait le choix de ne plus jouer, j’ai également une formation et une expérience de comédienne. Il serait donc faux de prétendre que la scène n’entre pas du tout en compte lorsque j’écris du théâtre. Je connais, sans l’avoir étudier de façon théorique, ce qu’est une situation de théâtre, la façon dont s’articule un dialogue que des acteur.ices vont avoir plaisir à jouer, ce qui va stimuler un.e acteur.ice dans la création d’un personnage. Je n’y pense pas quand j’écris la pièce, c’est en partie intégré.

Après, je ne me préoccupe pas du tout de savoir si la pièce est représentable ou non. Quand j’écris, je vois des scènes comme au cinéma, je ne visualise absolument pas une scène de théâtre. J’estime que ça ne me regarde pas, c’est le choix de la metteuse en scène et de son équipe. Chacun son domaine. Au fond, quand j’écris, je suis plus en relation avec les acteurs, car nous partageons le texte. L’écriture scénique ne m’appartient pas. D’ailleurs, je n’ai pas spécialement envie de mettre en scène mes propres textes, je préfère l’idée que quelqu’un d’autre apporte son univers sur la scène pour interpréter mon texte.

Dès l’ouverture, l’image du chevreuil encastré dans la porte-fenêtre, presque irrationnelle, voire fantastique, contamine peu à peu la scène, déréglant la mécanique classique du huis-clos familial. Peut-on y voir, affirmé d’emblée, un refus du réalisme ?

Je ne peux pas prétendre ‘refuser le réalisme’ car il y a des oeuvres dites réalistes qui sont parmi mes préférées. Je ne suis pour ou contre aucun style, aucun genre en particulier, tout dépend de la manière. En ce qui me concerne par contre, j’ai du mal à écrire des pièces purement réalistes, car je suis totalement happée par mon inconscient. Je me sens habitée par des fantasmes, des terreurs, des secrets enfouis et en écrivant je veux les regarder en face, en faire quelque chose de créatif. Les mettre à jour pour m’apaiser aussi. C’est une démarche très introspective. Ce que j’ai à l’intérieur de moi n’est donc visiblement pas très réaliste ! 

Pour prendre l’exemple du chevreuil, j’ai écrit à partir de cette image qui m’obsédait. Elle est finalement très psychanalytique et possède plusieurs niveaux de lecture et fait l’objet de multiples interprétations.

Une autre chose est que j’aime bien faire rire. Et avec cette pièce qui vire dans le grand guignol c’était une bonne occasion.

La pièce qui joue avec les codes et les genres déconstruit également les convenances, l’inconscient des personnages, et leurs fantasmes plus ou moins avouables, prenant le pas sur l’ordinaire des conversations. De la même façon, le drame bascule dans la farce cruelle, le jeu de massacre ­— dans quelle mesure diriez-vous que tout, au théâtre, peut être représentable ?

Lorsque j’écris une pièce je ne me pose pas la question de ce qui est représentable ou non. C’est à la mise en scène de le décider. Quand je mets en scène, j’apprécie que l’auteur me lance des défis à travers son texte et m’oblige à me poser la question de la transposition. Je souhaite proposer le même niveau de confiance et de dialogue artistique avec mes pièces. Étant donné que je m’intéresse à l’inconscient, aux non-dits, à l’univers des rêves et à tout ce qui échappe à notre rationalité dans nos relations aux autres et au monde, je suis particulièrement intéressée par les analogies, les métaphores, les symboles. Mes pièces ne sont donc jamais à prendre au premier degré bien sûr. J’aime quand il y a de nombreux niveaux de lecture dans une œuvre et grâce à ses différents niveaux de compréhension, l’imaginaire est stimulé sous différentes formes. Grâce à ces différentes façons de solliciter l’imaginaire, on trouve toujours une solution pour représenter l’irreprésentable. La question pour moi serait donc plutôt : doit-on tout représenter ? Mais ça sera pour un autre article.

Avec Sébastien Eveno, Étienne Galharague, Zakariya Gouram, Adil Mekki, Céline Milliat-Baumgartner, Charlie Nelson, Julie Pilod et Alexiane Torrès